• Bilan d'un euro cher

    (extraits)

    Cinq ans après la disparition des monnaies nationales, les deux principaux candidats à l'élection présidentielle française critiquent conjointement le niveau trop élevé de l'euro, sans voir que celui-ci résulte de la stricte application des règles de gestion fixées par le traité de Maastricht. A défaut d'exiger une révision de ce traité, leurs critiques paraissent purement électoralistes. En sens inverse, les défenseurs de l'euro cher font preuve du même simplisme dans leurs arguments. Essayons de tirer objectivement le bilan de la politique monétaire suivie par la Banque centrale européenne.

     [...]

    Car en réalité, l'inconvénient le plus grave de l'euro cher est la diminution de l'attractivité. En élevant les salaires relatifs vis-à-vis des autres pays, c'est-à-dire en rendant trop coûteux le travail, il défavorise tout le territoire de la zone euro, que les entreprises soient locales ou extérieures. Non seulement l'investissement productif intérieur y est handicapé, mais il ne s'oriente que vers des gains de productivité, sans extension des capacités de production sur place. Dans l'immédiat, l'emploi diminue, et la demande intérieure est d'autant plus ralentie que les salaires tendent à être comprimés. A terme, l'offre est brimée, ce qui pénalise la croissance potentielle. Quant aux entreprises mondialisées, elles délocalisent leur production vers des zones plus attractives, soit directement par l'investissement, soit indirectement en passant des accords de partenariat.

    Ce mouvement est général pour l'ensemble de la zone euro, prolongeant les effets délétères qu'avait donnés antérieurement l'accrochage de diverses monnaies au deutsche mark. C'est la raison pour laquelle la santé florissante des entreprises dominantes ne signifie pas automatiquement une bonne santé économique sur le territoire national. L'économie intérieure de l'Allemagne est malade, comme celles de la plupart des pays de la zone euro. Le chômage y est élevé, et sa décrue récente traduit surtout le fait que la démographie y est encore plus catastrophique qu'en France. Contrairement à une idée qui reste trop répandue, ce n'est pas sur le commerce extérieur que se fait sentir le principal impact d'une monnaie chère. Sauf au départ, où il était meilleur marché, l'euro a engendré une anémie structurelle du produit intérieur brut. La persistance d'un chômage de masse en est la conséquence directe.

    [...]

    Loin d'avoir été accidentel, le référendum [du 29 mai 2005] a mis au grand jour la rivalité essentielle entre deux camps opposés : d'un côté, les bénéficiaires de l'euro cher et d'une libéralisation sauvage, partisans naturels du oui (principalement les grandes entreprises et les élites mondialisées, les vieux et les retraités) ; de l'autre, les victimes rassemblées logiquement autour du non (la grande masse des salariés, les petits patrons, les jeunes et les chômeurs). Apparue à cette occasion, cette nouvelle ligne de clivage va s'imposer de plus en plus dans l'avenir.

    Gérard LAFAY

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  • Face à la concurrence des pays émergents, un "protectionnisme européen raisonnable" s'impose, estime l'historien. Pourquoi l'économie n'est-elle pas au centre du débat électoral ?

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    Serait-il en voie de devenir le gourou des politiques ? Rappelez-vous sa fameuse note de l'automne 1994, Aux origines du malaise politique, qui permit à Jacques Chirac de mener campagne sur la « fracture sociale ». Peu se souviennent que, dès 1976, à l'âge de 25 ans, le jeune démographe Emmanuel Todd avait prédit dans La Chute finale la décomposition de l'Union soviétique. En 2002, il règle aussi le sort des Etats-Unis (Après l'empire) et continue de guetter leur effondrement. Et voilà qu'à l'automne dernier, il est parti en guerre contre les « candidats du vide » que sont à ses yeux Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Son nouveau combat ? La création d'une aire protectionniste européenne, afin de soulager les classes laborieuses des maux du libre-échange. A voir la virulence des réactions qu'il suscite, il semble que le petit-fils de l'écrivain Paul Nizan et le fils du journaliste Olivier Todd gratte à nouveau là où ça fait mal...
     
    Le 13 septembre 2006, vous déclariez dans une interview au Parisien : « Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sont “les candidats du vide”. » C'est toujours votre opinion ?

    A ce jour, je ne vois pas ce qui pourrait me faire changer d'avis. Je les appelle comme ça non pas pour leur côté people, la brume autour de leur vie de couple, mais pour une absence de discours sur la seule chose qui intéresse et angoisse les Français : le système économique qui a engendré la pression sur les salaires et l'insécurité sociale. Toutefois, il serait injuste de jeter l'anathème sur Sarkozy sous prétexte qu'il dit tout et n'importe quoi, et sur Ségolène Royal parce qu'elle ne dit rien sur l'économie, sans ajouter que François Bayrou les a malheureusement rejoints. Je persiste à dire que s'ils ne mettent pas la question du libre-échange au cœur de leur programme, ils seront à côté de la situation réelle du pays, des souffrances des gens. Cela explique que la campagne ne démarre pas, et que le corps électoral ne suive pas.
     
    Vous dénoncez un « système médiatico-sondagier » qui aurait « imposé » le binôme Sarkozy-Royal...

    Dans les phases pré-électorales, avant que les thèmes aient été présentés par les candidats ou les partis, l'électorat populaire est inerte. Les sondages qui ont été réalisés à ce moment-là représentaient l'opinion des classes moyennes, et plutôt des classes moyennes supérieures, parmi lesquelles on trouve les journalistes, les sondeurs... Ces derniers le savaient mais, au lieu de reconnaître que leur boulot ne valait rien, ont préféré dire : « les sondages sont une photographie de l'opinion à un moment donné ». C'est une escroquerie ! Ils suggèrent que l'opinion change, alors qu'on assiste en réalité à un phénomène de formation, de cristallisation d'une opinion populaire qui n'existait pas et qui émerge dans le courant de la campagne.
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